La blancheur délicate des Cieux apaisait le cœur trouble de Gabrielle, qui plongée dans le silence paisible du jardin d’Eden, observait avec curiosité les oiseaux déployer leurs ailes dans un tourbillon coloré. Un arc-en-ciel passant du jaune à l’orangé, du turquoise au vert clair et cheminant vers les couleurs les plus improbables de la lumière auréolait de part en part, les bois jolis à travers lesquels la jeune fille s’était égarée. Elle n’était pas seule dans sa promenade ; Raphael était là, lui tenant doucement la main et à côté d’eux, il y avait aussi d’autres anges qui songeurs aspiraient à quelques minutes de recueillement. Quelque chose les tracassait tous depuis que les archanges surveillaient leurs moindres faits et gestes ; un climat tendu rendait tous les envoyés de Dieu légèrement hostiles et inquiets face à certaines nouvelles réformes. Depuis que Rosemary avait laissé son démon souiller la pureté maculée des Cieux, les choses s’étaient compliquées ; certains archanges jugeaient bon qu’il était temps de faire changer les mentalités et de se fier aux dires de Moralès, alors que d’autres étaient plus puritains et réservés sur le sujet. Gabrielle était de ces personnes-ci ; elle ne voyait en rien le bien dans le cœur du démon brésilien, sauf peut-être la rare fois où il l’avait aidée à se protéger de la fureur folle de Nicholas. Calmement la jeune fille et ses amis s’installèrent sur l’herbe fraiche où perlait goutte par goutte, la rosée nacrée ; il se coiffa d’une jolie rose blanche puis observa durant de longues minutes ses collègues et amis qui paraissaient tous très pensifs, et incroyablement gênés. Cela commençait par Melody qu’elle n’avait jamais vue aussi tendue ; son visage pur et clair ne brillait plus comme avant, de cette douce et tendre lueur qu’elle appréciait voir en elle. Tout comme les yeux bleus de Rosemary qui lui semblaient désormais, légèrement noircis et larmoyants. Raphael également arborait un sourire de convenance ; elle entendait son cœur battre en lui d’une manière troublée et frénétique. Passant doucement sa main sur son visage pâle, la jeune fille se pencha ensuite vers ses amis en s’installant en tailleur ; le jardin d’Eden brillait autour d’eux et à chaque coin de celui-ci, des roses, des jonquilles, des lys dont les teintes étaient éclatantes fleurissaient hasardement. Le soleil se reflétait sur le jardin où le blé nourricier grandissait. A chaque roulement des eaux, une mélopée tendre emplissait les oreilles des anges se prélassant au soleil. Ils paraissaient cependant encore sceptiques et conquis d’un sentiment ardent d’inquiétude ; Gabrielle elle-même, en était atteinte, foudroyée en plein cœur. Elle attrapa la main de Melody et de Rosemary avant de leur demander de sa voix comparable au chant des oiseaux dessinant les couleurs des cieux éternels au dessus de leurs têtes auréolées. « Ecoutez, je pense qu’il ne faut pas que l’on se voile la face encore longtemps. De grands changements sont entrain de s’effectuer et je peux vous dire que je crains le pire. Rosemary, tu comptes réellement rejoindre Juan ? Je trouve que c’est une mauvaise idée. Non pas que j’éprouve de la haine à son encontre, mais les démons sont impurs et sournois. Ils nous dupent et se jouent sans cesse de nous en allant jusqu’à nous voler notre âme et notre cœur. Melody, je sais que mes paroles te blessent, mais tu le sais autant que moi. Nous ne pouvons pas nous fier à eux. Vous savez… » Elle se tut, hésitante ; les joues rougissant d’une même teinte que ses lèvres vermilles. « J’ai péché. J’ai également connu un démon, mais je ne remercie jamais assez ma foi de m’avoir préservée de lui et de son influence malsaine. J’aurais dû vous en parler avant mais je n’ai pas osé. Raphael était le seul à être au courant de mon secret…Mais il ne l’a jamais approuvé et aujourd’hui, je le comprends. » Gabrielle noya ses prunelles brillantes dans celle du jeune ange et tout en lui saisissant sa main tendrement dans la sienne, elle souffla, tout bas, les joues encore plaquées de rougeurs et de honte. « Je suis désolée Raphael. Tu m’avais prévenue et je ne t’ai pas crû. Mais aujourd’hui, je suis convaincue que tu as raison…Que quelque chose de terrible va se passer. Si Juan prend le pouvoir, ce sera pire Rosemary ! J’en suis persuadée. Melody, ne l’aide surtout pas dans son combat. J’espère que Dieu ne se laissera pas avoir par son sourire en coin et ravageur. Moralès est pire que Lucifer ! » Déclara la chaste avec un sentiment naissant de colère. Elle savait que Nicholas était à ses côtés et donc, elle était prête à tout pour hisser haut et loin l’étendard de la paix afin d’éviter qu’un bain de sang entre leurs deux peuples ne se fasse. Malgré son air impassible, Gabrielle sentait que quelque chose de terrible allait se produire ; les réunions multipliées entre les anges, les chuchotis dans le long des allées fleuries, les mots à peine audibles qu’ils chantonnaient lors de leurs prières saintes, oui, elle avait compris que les ténèbres étaient là, et qu’elles attendaient un moment de faiblesse de leur part pour souiller leurs âmes, leurs pensées et leurs cœurs. Relâchant doucettement la main de son ami, la blonde glissa doucement ses doigts dans l’herbe fraiche, la caressant tendrement et sur les extrémités de celle-ci, une fleur naquit tel le soleil dans le ciel lorsque l’aube touchait de ses rayons gracieux, le monde des hommes. Sur les pétales, des perles de rosée brillaient intensément. La chaste observa durant de longues minutes le fruit de son amour pour la nature qu’elle rendait féconde juste à travers son humeur, sa foi et son énergie spirituelle. Elle effleura du bout de l’index la pousse fraichement née avant de noyer son regard profondément vers Melody qui jusqu’à présent, partageait le silence et la peur de leurs semblables, tout en sentant probablement dans son cœur, les crépitements criards des flammes des enfers, dont elle était malgré elle, l’enfant également. « Tu dois choisir un camp Melody. Je sais que ce que l’on te demande est horrible, mais c’est la stricte vérité. Sans quoi, nos supérieurs pourront te vouer à un châtiment horrible, bien plus terrible que ce que tu ne ressens à cet instant. Cette indécision qui te ronge jusqu’aux os. Oh ma pauvre Melody. Je suis désolée de t’imposer un tel discours, mais je me devais de te le dire, car je t’aime beaucoup tu sais et que je ne veux que ton bien. Comme le vôtre d’ailleurs. » murmura l’ange en adressant, tour à tour, un regard aux autres envoyés des Cieux. Chacun eut un sourire fleurissant sur les lèvres frais et sincère, hélas, ils se fanèrent aussi vite que la fleur qu’elle tenait entre les doigts. Ses pétales se nécrosèrent et devinrent violettes, sans vie…Etait-ce finalement à cet avenir que tous étaient voués ? Les prières et le Seigneur n’allaient-ils pas les sauver de l’Apocalypse ?

Suite à l’habituel sermon de leurs Saints, les anges s’étaient égarés dans le Jardin Secret, celui auquel Adam et Eve avaient volé le seul fruit ; une pomme d’un rouge lustré, aussi vif et ardent que les flammes des enfers auxquelles ensuite, ils furent livrés. Gabrielle en avait le regard songeur, les mains tremblotantes comme des lys que le vent balayait par caresses régulières ; elle songeait aux prêches faites par les Archanges qui craignaient que l’Apocalypse ne vienne frapper bientôt aux portes du Monde. Le glas funèbre résonnait encore comme la sentence fatale de cette prédication savante et endiablée, car oui, Marc, leur grand Seigneur, avait haussé le ton, et son visage s’était mis à briller sous le coup de la fureur. Jamais la chaste ne l’avait vu ainsi ; une telle représentation de son précepteur l’avait même effrayée, et heureusement que son confrère et ses consoeurs avaient été là pour la soutenir. Elle s’était sentie accusée de bout en bout de l’office ; chacune des paroles de l’archange ayant le même impact qu’une épée lui tranchant à vif le cœur. Oui, Gabrielle Emerson s’était sentie honteuse, humiliée presque ; sa relation tumultueuse avec l’un des serviteurs du Mal faisait qu’elle était toujours très angoissée lors des prêches prononcées par le prédicateur du haut de la chaire en velours damassé. L’ange avait le sentiment qu’on allait la dénoncer et lui faire goûter à l’effroyable châtiment, elle, la traitre vilaine et souillée par l’Enfer. A cette pensée, la jeune fille eut un frisson et entre ses doigts, la rose fana. Elle observa tour à tour ses complices, espérant que cette entrevue allait leur permettre d’enfin comprendre le fin mot de l’histoire. Mais bien vite, Gabrielle comprit qu’ils étaient tous trop radicalement opposés pour espérer se rendre ensemble sur un terrain d’entente. Ne lâchant pas la main de Rosemary et celle de Raphael, la prude espérait que ces quelques mots, chantonnés par sa voix mielleuse et frêle allaient calmer les ardeurs d’une Melody combattante et rêveche. L’hybride ne voulait en aucun cas se plier à l’horrible torture d’un choix. Rosemary la comprenait car visiblement, elle aussi était dans la même situation ; son ardente affection pour Juan avait hélas, brûlé ses dernières valeurs. Déçue et désappointée, la jeune envoyée de Dieu ne perdait pas espoir ; son ami de toujours, le charmant Raphael était de son côté, et lui aussi avait fait comme elle un choix. Il avait cédé son humanité au prix d’une existence de repos. Gabrielle était en effet passée par là en décidant de laisser à jamais Nicholas seul aux flammes des enfers pour se concentrer elle, vers un avenir de servitude loyale auprès de ses saints Fondateurs. La jeune fille serra plus fort ses mains dans celles de ses amis avant de répondre d’une voix brisée par l’émotion et les sanglots naissants. « Je ne te demande pas de te mettre en travers de son chemin, mais ce que je te demande et ce que je vous demande à tous, c’est de rester fidèle aux principes que vous servez depuis le début. J’étais exactement dans le même cas que vous, et j’ai aussi fait un choix. » Elle baissa la tête, affligée par une douleur lancinante qui montait telle un accord funeste en crescendo jusqu’à ses tempes ; le sang bouillait en elle comme de la lave, alors que dans ses yeux à demi-clos, les larmes chaudes gravissaient le dernier pavillon, prêtes à ruisseler sur ses joues empourprées par la honte et le désarroi. « J’ai quitté mon…Mon amour pour défendre mon Seigneur. Vous devriez en faire autant ! » Ces quelques mots furent énoncés avec une intonation suspecte, juste dosage entre la rage, le dégoût et l’incompréhension. « Je sais Raphael. Tu es tellement admirable. » Son regard rencontra les yeux clairs de son meilleur ami qui était visiblement le seul à la comprendre et à suivre le même chemin qu’elle, alors que Rose et Melody empruntaient des voies sans issue, hors des sentiers battus. « Penses-tu sincèrement que Juan veut rendre le monde meilleur ? Sincèrement ! » Le visage rougi, Gabrielle s’emportait. Elle plongea ses yeux clairs et larmoyants dans ceux de son amie si précieuse, qui elle-même, paraissait avoir été foudroyée en plein cœur par un éclair de confusion. Elle blêmit, ses yeux devenant le nid de rivières salées. « Je sais que tu l’aimes. Je ne te blâme pas pour cela. Mais s’ils l’apprennent, ils te feront subir une punition bien plus terrible que celle que tu as déjà connue ! Ne suis pas Juan. C’est dangereux. Rose, s’il te plait. » Elle lâcha soudainement la main de son amie puis attrapa du bout des doigts les pétales virevoltant sur le gravier opalin. « Je crains que nous ne sommes trop impliqués dans cette affaire. C’est tellement risqué ! Je suis aussi confuse que vous, mais je n’en n’oublie pas les bases. Sauver les gens dans le besoin, mes protégés et aider mon Seigneur, celui qui m’a redonnée la vie, celui qui m’accorde une confiance aveugle, celui qui m’aime comme si j’étais sa propre enfant, dans son combat. Depuis que Juan cherche à prendre le pouvoir, tout a changé. Les anges et les archanges paraissent plus hésitants. Il est vrai que l’on peut reconnaître une chose de bénéfique à Moralès, c’est que grâce à sa lutte, ses démons et ceux de son Ancien Serviteur – elle n’osait pas dire le nom impur, blasphématoire – sont tellement occupés à batailler qu’ils ne s’attaquent plus aux humains. Mais jusqu’à combien de temps ? Rosemary, tout comme toi Melody, êtes vous persuadées que ce combat va servir à quelque chose ? Pensez-vous que notre Seigneur va s’allier à un démon aussi calculateur de Juan ? J’aimerai tellement croire à une pareille union, mais une telle chose n’a jamais été vue, et ce depuis la nuit des temps. C’est impossible ! Je n’y crois pas. » La jeune hybride s’emporta, ses joues passant du rouge carmin au blanc pâle. Elle serra les poings. « Ce n’est pas ce que je te demande. Mais…Regarde-toi. Tu es sans cesse torturée par l’un de tes deux côtés. La démone que tu es, est là, énervée, endiablée. Je la vois dans ta manière de te tenir, je l’entends à travers tes propos et dans tes yeux, j’en vois la lueur enflammée. Je sais que tu ne peux pas choisir, mais essaye. Si tu ne fais pas ce choix, la folie t’emportera et tu seras damnée à vie aussi bien des enfers, que de nos cieux. Je ne te menace pas, car là n’est pas mon intention, je suis simplement réaliste. J’ai appris de mes erreurs et je ne veux pas que vous les refassiez. Je vous aime tellement. Je ne veux pas vous perdre. » Aussitôt, Raphael appuya de son ténor enchanteur le discours de la chaste qui avec un intérêt grandissant se délectait de ses paroles. Il avait raison sur toute la ligne. Le plus important était de rester soudés, complices et de ne jamais se montrer secret les uns avec les autres. Les Temps étaient incroyablement durs, la solitude et la mort guettaient chacun tapies dans l’obscurité de leurs cœurs tourmentés. Gabrielle frémit en attrapant une nouvelle rose qu’elle admira silencieusement. Rosemary hésitait alors que Melody se montrait plus fébrile ; la démone en elle était là, brûlante d’envie de s’extraire de cette enveloppe charnelle blanche de pureté et de douceur. « Raphael a totalement raison. Sache que je serais également de ton côté, et que je te soutiendrai toujours. » Confessa la jeune fille en laissant un sourire habiller ses lèvres roses. « J’ai fait un choix et je ne le regrette pas. Et je suis persuadée que si vous faites un choix, vous serrez toutes les deux soulagées et vous vivrez enfin en harmonie avec vous-même et vos principes ! » Doucement, la chaste posa son regard dans celui de Rose puis celui de Melody ; désormais, leur Destin était à portée de main. Elles devaient simplement faire le bon choix. Celui qui les portera haut et loin vers le soleil du Bonheur.