Une nuit noire, pleine de désespoir. Un ciel de plomb infini et une forêt étrangement silencieuse. En longeant les bois, en voiture, ce soir-là, il eut un pressentiment différent des autres. Ce n'était pas étroitement lié à la chasse, mais à quelque chose de plus profond et d'intelligible. Les pensées confuses, le chasseur descendit du pick-up. Il s'arma avec soin puis se prépara à pénétrer dans les bois pour débuter une chasse dont il ne voyait vraiment pas la fin. La finalité de son action était claire : il devait impérativement tuer ce maudit loup-garou qui causait bien des tords aux malheureux campeurs qui osaient s'aventurer en forêt. Stephen haïssait les créatures et à ses yeux, les unes étaient pires que les autres mais, il avait toujours plus particulièrement en ligne de mir les vampires et les loups. Ces êtres dotés d'une cruauté effrayante lui avaient dilapidé sa vie : ils en avaient cupidement extrait les moindres atomes, ceux qui avaient su la rendre unique en son genre et pourtant si anodine. Une vie d'enfant perdue, puis une adolescence dévastée par la disparition d'un être cher. Tôt dans son chemin de l'existence, il avait rencontré la mort avec la perte tragique de sa mère, puis, plus tard, celle de son père terrassé par la maladie. Par manque, Stephen avait trouvé refuge chez une vielle tante dans l'Utah puis, ce fut là où il fit la rencontre d'une jeune fille qui devint sa meilleure amie, Jennifer et qui l’épaula jour après jour, en l’aidant à retrouver le sourire. Hélas, les choses prirent une autre tournure, une plus tragique, plus sombre . Dans la noirceur d'une nuit d'hiver, il la perdit comme il perdit sa mère, et son père, et son humanité également. Il ne se sentait plus comme ses ''semblables'' : il n'avait plus conscience de son existence en tant que tel. Il n'était plus qu'un minable rebut, en marge de la société nourrit de haine et de tristesse. Les années passèrent, les unes ressemblant aux autres , toutes animées par l'envie de vengeance . Il fit des rencontres , des bonnes et des moins bonnes , s'éprit de vampires , d'humaines et même d'une louve … Blasphème , s'écriait sa voix intérieure quand il rencontrait amoureusement le regard de sa dulcinée …

Ce soir, c'était avec un pincement au coeur que Stephen passa près du lac . Il avait toujours ce pressentiment sordide, celui qui lui annonçait que quelque chose allait se passer . Un événement important qui allait chambouler sa vie. Une révolution dans son existence paisible de chasseur solitaire. En braquant son arme vers une silhouette qui s'avançait en sa direction, il tira. Pan , pan . Un corps tomba lourdement contre le sol rocailleux. Fier , Stephen rangea son arme et s'approcha de la bête humaine : il se permis de lui donner un coup de pied pour vérifier si elle était en vie ! Mais celle-ci semblait être partie vers un ailleurs mystérieux. La chasse était terminée, rapidement, sans problèmes , néanmoins , son pressentiment était toujours là , plus fort que jamais . Une nouvelle silhouette se dessina dans la nuit, surprise par les bruissements indiscrets du chasseur en plein exercice. Quand il contempla les courbes de ce corps, et quand il vit son visage se faire éclairer par la pâle lumière argentée, il fut frappé en plein coeur . Mais ses yeux étaient bien différents, comme si les ténèbres s’y étaient incrustées dans leur splendide noirceur. Le jeune homme secoua la tête, quittant ainsi ses pensées rythmées par son cœur effréné, craintif: ce ne pouvait pas être elle , Elena n’était pas ainsi. Que faisait-elle de nuit en pleine forêt, non loin de ce lac maudit que les âmes peinaient à traverser ? Sa conscience lui interdit tout mouvement ; son cœur aussi, mais Stephen remarqua que sa protégée était plutôt mal en point. L’échine légèrement arquée, les bras enroulés autour de sa propre taille, comme si elle essayait de se protéger de quelque chose. Oui, mais de quoi ? Surpris et encore chamboulé et confus, le chasseur recula d'un pas , par instinct et par frayeur . Il prit son arme et la braqua en direction de cette silhouette familière puis, hurla , sèchement :

Elena ? Elena qu’est-ce que tu fais ici ? Aucune réponse. Il la vit juste légèrement incliner la tête en sa direction ; elle se figea ensuite, tout comme lui, en une solide et robuste statue de pierre. La lune se voilait derrière des grisailles ; quelques rayons transperçaient son foulard argenté, mais ils étaient si faibles que la visibilité se retrouvait quasi nulle. Owen garda son arme en main, serrant un peu plus fort la crosse dans sa paume. Elena ! répéta-t-il en hurlant plus fort. Sa voix tonna comme l'éclair qui zébra soudainement le ciel. La pluie n'allait certainement pas tarder à perler des nuages volumineux qui couvraient le plomb des cieux. Le chasseur, hésitant, recula d'un pas , puis recula d'un autre jusqu'à se retrouver acculé contre un arbre , pris au piège . Elena bon sang réponds ! s’écria t-il une énième fois. La silhouette de sa protégée disparut dans la noirceur de la nuit. Il s’avança aussitôt et se mit à courir en sa direction ; avait-il halluciné tout simplement ou bien avait-elle été là ? Elle ou bien quelqu’un qui se serait amusé à étrangement lui ressembler ? Reculant d’un pas, le sentiment qu’avait Stephen se persistait ; le chasseur se sentait mal, angoissé. Quelque chose se tramait dans les tréfonds de la forêt, dans les ténèbres. Quelque chose qu’il ne comprenait pas, qui lui échappait dans toute son intégralité. Soudain, il bouscula une silhouette et en se retournant brusquement, il la vit, le visage en pleurs, les yeux encore rougis par les larmes. Elle attrapa fermement son poignet et tira le plus fort possible dessus en marmonnant quelques paroles, tout en sanglots. Elena, calme-toi, que s’est-il passé ? Qui t’a fait du mal ? Le jeune homme serra doucement sa protégée dans ses bras ; du sang ruisselait le long de son visage et au niveau de son ventre, il ne comprenait rien à la situation, mais il avait la sensation que les choses étaient bien plus compliquées qu’elles n’y paraissaient et bien plus dangereuses.

Ces retrouvailles, Stephen en avait tant rêvé, y avait tant de fois trop pensé. Mais bizarrement, il ne les imaginait pas ainsi. Quelque chose clochait. Plus elle avançait vers lui, plus il reculait. Paniqué , dérouté et terriblement angoissé à l'idée qu'elle ne soit aux prises de cette ‘chose’. Il n’y croyait pas car il ne l’avait jamais vue en ‘elle’ mais à cet instant, un frisson lui dévora l’échine tant il avait une sale impression. Une fois encore, Owen croyait être face à un désert d'illusions où mort et tristesse se confondaient avec le sable doré. Un point de non-retour, vaste , immense et tellement meurtrier . Quand leurs regards se rencontrèrent, Stephen fut frappé par les souvenirs , les derniers surtout tous , marqués par la mélodie poignante de leurs pleurs et cris mélangés lorsqu’il l’avait recueillie ce soir-là ; une nuit pas comme les autres. Tout était resté gravé en lui. Tout. .Il recula , jusqu'à être dos contre un arbre , dos contre la réalité . Elena avança enfin jusqu’à lui, pleurant toutes les larmes de son corps en tombant dans ses bras . Hésitant, Stephen resta un court instant , sans oser passer ses bras autour de sa taille comme s’il était hésitant. Il la serra fort contre lui , pour éviter que la nuit ne la vole à jamais. L'étreinte dura plusieurs minutes alors qu’elle se débattait, allant jusqu’à s’arracher frénétiquement la peau du poignet; il n'avait plus conscience de ce qui l'entourait , seule Elena et son regard larmoyant l’inquiétait et le captivait. Jamais il n’avait été en lien avec les démons ; ce n’était pas sa spécialité. Les larmes creusaient des fosses sur ses joues pâles. Le sang couvrait ses vêtements alors qu’elle baragouinait des mots incompréhensibles. Sa voix paraissait ouatée par le silence excessif régissant les lieux. Les eaux noires roulaient comme des billes, tout en lâchant quelques clapotis mélodieux alors que dans le ciel, les astres disparaissaient un à un, touchés au vif par la flèche noire de la nuit. Le vent était de glace. Le croisant d’opale était encore le seul à luire intensément tenant ainsi compagnie à une rare étoile.

Elena, il a essayé de te tuer encore ? C’est cela ? Réponds-moi. Je t’en prie. Elle frissonnait dans ses bras tout en s’accrochant désespérément à lui, comme une personne se rattachant solidement à la vie. Il était complètement perdu. Il ne savait pas pratiquer d’exorcisme, voire très peu ; cette science lui était plus théorique que pratique. Lui ce qu’il savait achever c’était les vampires. Il prenait d’ailleurs un malin plaisir à les tuer, et à voir leurs restes brûler dans un feu de joie sacré. Qui ? Qui va venir ? Elle ? Elena, que me dis-tu ? Je ne te comprends pas. Calme toi. Matthieu ne te touchera pas, je te le promets. Je suis là. Je suis là. Le brun la serra encore plus fort , jusqu'à sentir son corps complètement collé au sien, comme s'il ne faisait qu'un : il ressentait sa peur, cette brûlante angoisse qui faisait frémir son coeur. Elle peinait à respirer et à s’exprimer. La jeune femme sécha maladroitement ses larmes du revers de sa main, tout en regardant Stephen droit dans les yeux et là, il eut l’impression que tout changea. L’obscurité nimbait ses prunelles. Un frisson traversa alors son échine tandis qu’Elena –ou bien l’Autre- affichait un sourire en coin. Agilement, le chasseur bascula sur le côté tout en lâchant la jeune femme. Il se retrouva acculé contre un arbre et se munit aussitôt de son arme qu’il braqua vers la créature tout en criant, de toutes ses forces : Lâchez la. Elle est complètement extérieure à votre jeu ! Vous êtes ridicule. Horriblement risible ! Les créatures de votre genre terminent en enfer, brûlées vive et certains morts se délectent de votre chair. Que lui voulez-vous au juste ? Pourquoi elle ? Ses mains tremblotaient légèrement alors qu'un sourire moqueur caressait le bout de ses lèvres; Owen avait du répondant, il n'avait pas froid aux yeux malgré que les démons n’étaient décidemment pas son truc. Il n’était pas habitué à leur traque. Il devait pourtant se dérouiller à ce niveau-ci pour sauver sa protégée et le monde. Les ténèbres les encerclaient désormais, à mesure que la jeune femme soutenait le regard interrogatif du chasseur. Répondez bon sang ! hurla t-il en interpellant si rageusement la créature. Alors dans un bond agile et prompt, elle lui sauta à la gorge et le rua de coups. Owen se redressa aussitôt, mais son arme lui échappa. Il traversa sans plus attendre la forêt tout en réfléchissant à comment il allait sauver sa protégée. Il se rappela alors de ce que Valentina lui avait toujours expliqué sur les démons ; les paroles saintes, l’eau bénite, les pentagrammes et les autres significations religieuses leur étaient désagréables, tuantes même. Alors qu’il entendit les brindilles et les buissons frémir, le jeune homme attrapa une fiole d’eau bénite et cria rageusement : Sortez d’elle immédiatement ! Dégagez ! L’eau sainte se répandit sur le visage pâle de la jeune fille qui se mit à s’enfumer, son corps s’agita frénétiquement, d’une manière convulsive presque alors qu’elle hurlait. Elle souffrait horriblement. Stephen crut entendre même la voix rauque du démon ; c’était effrayant à ouïr et à concevoir ! Dire que sa protégée était finalement possédée le fit tomber de haut. Il n’y avait jamais cru. Jamais. D’épaisses vapeurs voilaient son visage alors que ses yeux reprenaient leur délicieuse couleur. Elena ! Tu ne dois pas la laisser t’avoir, murmura le protecteur en avançant vers elle. Aussitôt, la brune chuta à même le sol, genoux contre terre. Que se passait-il ? Tout lui échappait mystérieusement. Et horriblement.