Par une matinée sans encombre, j’avais décidé de m’éloigner un peu de la vie des hommes, décidé à retourner à cette vie obscure et mystérieuse que je menais dans le plus grand secret. La chasse me manquait. Cela faisait si longtemps que je n’avais pas assouvi ces pulsions meurtrières, ce désir de sang et de vice. Depuis quelques jours maintenant, je travaillais minutieusement sur un plan chasse ; à travers certaines recherches et on dit de sources sûres, j’avais appris que des esprits frappeurs terrassaient les campeurs non loin de la rivière. Ils se manifestaient de jour comme de nuit et c’était donc sans la moindre hésitation que j’avais accepté de prendre le dossier. Mes dernières pistes étaient fructueuses ; j’avais appris qu’également dans les années trente, certains crimes horribles avaient été commis par un tueur en série qui noyait ses victimes dans ce lac. Tout s’expliquait ! Me munissant d’un fusil à pompes chargé de balles avec du sel, d’un vieux livre que j’avais déniché à la bibliothèque de New Heaven, ainsi que d’autres breloques utiles, je pris sans plus attendre la direction de la rivière. Tout excité, je n’avais qu’une hâte, me lancer corps et âme dans le combat ; j’en ressentais le besoin et le désir ardent en moi. Mes pensées en étaient pleines. Je ne pensais plus à rien, ni personne d’autre. Sauf peut-être à elle, Bonnie. Notamment lorsqu’à la radio, on passa le tube qui avait rythmé notre soirée au bar. Je m’en souvenais comme s’il s’agissait d’hier, et ce même si cette entrevue datait de plusieurs semaines déjà. La sorcière avait ensuite disparu –comme par magie- de ma vie…Même à New Heaven je ne l’y avais pas revue. Et dans un sens, c'était mieux ainsi. La voiture longea les hautes routes qui séparaient le monde des hommes de celui des créatures ; la verdure se prononça sur l’horizon que le soleil couvrait de rayons dorés. Je garai la jeep à l’entrée de la forêt, décidant de continuer mon chemin à pied jusqu’au point stratégique, carrefour entre réalité et fantastique, vie et mort. Courageusement, je m’enfonçai à travers les bois couverts d’un épais voile de brume pourpre ; le vent sifflait dans les branches et agitait les feuilles mortes gisant sur le sol. Certaines disparurent dans un torrent éclatant de lumière lorsque soudain, je vis un reflet argenté au loin. Ce devait être la rivière. Pressant le pas, j’arrivai au bout endroit. Je déposai soigneusement mon sac à dos à même le sol puis attrapai le sel lorsque soudain, j’entendis un bruissement bien suspect émanant de derrière l’épaisse toison obscure formée de feuillages touffus. Glissant habilement ma main sur mon arme, j’avançai vers la source du bruit lorsque soudain, Bonnie m’apparut comme un fantôme extrait de mon esprit. Elle avança d’un pas vers moi. Une vive lumière me passa dans les yeux et je ne pus pas vraiment discerner la joliesse de son visage. Je m’écartai du soleil puis plissai les yeux en cherchant distinctement cette fois-ci son regard. Elle m’interpella d’une voix vive et enjouée. Je restais silencieux et impassible, et comme toujours, une aura de mystère venait de me protéger. Le soleil se mit à darder la silhouette de la sorcière donnant à l’ondulation parfaite de ses boucles des teintes enflammées. Je pris appui contre le tronc d’un arbre tout en gardant le silence. Elle poussa à deux reprises un rire nerveux, espérant que la musicalité de celui-ci parvienne à me faire sortir de ma torpeur. Je secouai la tête en répondant enfin après d’interminables secondes de silence et de froideur.

Salut. Une promenade, et toi ? mentis-je avec aisance alors qu'elle me demandait ce que je faisais par ici. A pas dangereux, je me rapprochai de la jeune femme, réduisant encore plus l’immense fossé qui nous séparait, qui scindait en deux nos deux univers. Elle réprima un frisson en me voyant si près d’elle ; mon souffle brûlant effleurait son visage. Ses lèvres pulpeuses. Elle me sembla pensive, lointaine. A quoi penses-tu? Peut-être songeait-elle à moi? Ou bien à autre chose qui échappait à mon esprit. De mon côté, j’avais également pensé à elle, mais d’une autre manière, j’espérai pouvoir percer au grand jour le reste de son secret ; je savais qu'elle n'était pas humaine, je l'avais vue à l'oeuvre, mais qu'était-elle vraiment? Je voulais savoir comment elle procédait. En bon homme de science, le doute s’était insinué en moi la dernière fois que je l'avais croisée au bar alors qu'elle était avec ses amies et que moi, j'étais avec Eryk, mon fidèle accolyte.Nous restâmes silencieux. Je voulais en voir plus, la pousser à bout pour voir ce dont elle était vraiment capable. Elle me fascinait, m’intriguait et me subjuguait. La sorcière ou devrais-je dire la magicienne (ou bien quelque chose s'en rapprochant) émit un nouveau petit rire. Le silence se fit ; haussant les épaules et réprimant un soupir, je m’éloignai d’elle. Lui tournant le dos, je repris ma place près de l’arbre centenaire ; ses branches habillées de feuilles immenses me faisait de l’ombre. Je n’aimais pas le soleil. Je préférai l’obscurité. Que fais-tu ici? Je ne t'ai pas vue à NH depuis plusieurs jours. Conclus-je froidement. Tu as l'air un peu différente. Ca va? murmurai-je d’une voix perçante. Ainsi dit, ma question pouvait effrayer et faire naître en elle le frisson, surtout que mes yeux brillaient comme deux bleus disques de feu. J'affichai un air plus attendri, afin de ne pas trop l'angoisser. Soudain, un bruit nous surprit tout les deux. Les esprits certainement. Peut-être devais-je stratégiquement laisser Bonnie être la guerrière dans ce combat ? De ce fait, j’apprendrai plus de choses sur elle et je continuerai à protéger mon identité ainsi que mes obscures motivations. De plus, je passerai une fois de plus pour l’humain naïf et curieux qu’elle appréciait bien couver. Mes doigts s’écartèrent de l’étui dans lequel j’avais fourré mon arme. La sorcière soutint mon regard lorsque je demandai, d’un air faussement innocent ; Tu n’as rien entendu ? Mes yeux se mirent à luire encore plus ; le soleil y apportait la couleur de la malice et du vice, alors que mon visage lui, se peignait d’une fausse expression d’angoisse. Quel bon comédien faisais-je !