Cette histoire datait de deux jours précisément ; plus Faith y pensait, plus elle sentait son cœur battre violemment contre sa poitrine. Le sang lui martelait sauvagement les tempes alors qu’elle enchainait les quatre cents pas dans son salon. Nerveusement, la brune tapotait la petite carte de ses doigts fébriles ; elle regardait souvent par la fenêtre alors qu’un maigre rayon de soleil s’obstinait à travers les volets légèrement rabattu. Brillant dans ses yeux, la lueur née des astres, perdit son éclat céleste au moment où son regard retomba sur cette carte. Un petit morceau de papier blanc, plastifié, avec une photographie de Cassandra et son nom greffé à la place. Que Diable cela signifiait-il ? La chasseuse refusait de voir la vérité en face ; cette carte parlait pourtant d’elle-même. Lorsque finalement son esprit nébuleux se délia, acceptant de céder à la vraisemblance et l’horreur de la chose, la jeune femme prise d’un sentiment de fureur incontrôlable, jeta violemment la carte sur la table et donna un coup de pied dans celle-ci. La petite table basse, en verre et en cristal, se brisa en mille et un morceaux, écailles opalines que le soleil transforma en une poussière d’or et d’étoiles. Elle alla jusqu’à la terrasse ; l’astre vermeil se refléta dans sa chevelure brune, ambra légèrement sa peau et la fit frissonner. La colère devait se taire, malgré le jasement rauque et incorruptible qu’elle empruntait sournoisement en enrichissant chacune de ses pensées, chacun de ses souffles, de médisances exaspérées à l’égard de la tchèque. Pourquoi Cassandra s’amusait-elle à voler son identité ? Et pourquoi tant de mensonges et de secrets ? Pensive, Faith prit appui sur le rebord du muret, observant d’un œil égaré les cieux où tourbillonnaient les nuages ; qui était réellement Blackwood ? Lui avait-elle menti sur son identité ? Sur une part de sa vie ? La tchèque était restée assez mystérieuse et évasive sur le sujet ce qui avait au départ semblé normal à Faith ; chacun à ses secrets, ses histoires, ses peurs et ses douleurs, elle-même ne lui avait pas parlé de sa famille car elle savait qu’en abordant ce sujet, les confessions s’étaleraient jusqu’aux histoires actuelles de sa vie, celle en plein mouvement, celle parsemée de dangers et de noirceurs, celle dont la terreur et la violence se brossaient outrancièrement dans les livres et les fictions. Cassandra ne devait jamais le savoir. Jamais. Ayant prêté serment aux autres confrères et consœurs, la brune ne pouvait aucunement trahir leur parole en confessant ses passions nocturnes à son ‘amie’. Finalement, Cassandra l’était-elle ? Une ‘amie’ ? Elle ne le savait plus réellement. Cette carte d’identité qu’elle lui avait usurpée laissait présager tout le contraire. Aucun ami digne de ce nom n’aurait agi pareillement. Alors que le soleil s’inclinait dans le ciel et que ses derniers rayons aux couleurs du safran mouraient en tombant en poussières d’or sur le toit des maisons, la chasseuse décida de mener sa propre enquête. Elle devait en avoir le cœur net, retrouver Cassandra et tout lui dire, avoir des explications, sans quoi, la confiance et leur amitié ne pourront jamais perdurer. […] Promptement, la voiture dévala les ruelles noires du quartier de Neptune ; on entendait les couinements abusifs des klaxons provenant des embouteillages. Les hurlements hagards des sirènes. Les musiques assourdissantes des Night Club et les coups de feu intempestifs des gangs qui faisaient violence dans le quartier malfamé. La brune retrouva le véhicule de Cassandra juste devant chez elle. Elle arrêta un instant son véhicule, coupa le contact et au moment où elle s’apprêta à sortir, elle se ravisa, voyant son amie moulée dans la noirceur de la nuit ; promptement, la blonde attacha ses cheveux en dévalant rapidement les marches de sa villa avant de pénétrer dans sa voiture. Aussitôt, une filature s’opéra ; c’était réellement le moyen pour Faith de tout comprendre, et surtout d’en avoir le cœur net. Ainsi, la brune découvrira d’elle-même la vérité. Alors que le véhicule de la tchèque disparut au coin d’une ruelle, la chasseuse hésita, prise d’un cas de conscience ; devait-elle faire cela ? Agir d’une telle manière avec Cassandra lui paraissait être une transgression aux règles de liberté et d’amitié. Mais Faith devait le savoir, après tout, la faute émanait de son amie, et non d’elle ! Elle n’avait strictement rien à se reprocher.

Après un quart d’heure, la voiture s’arrêta devant une maison coquette de la bourgade de Wisteria Lane ; Cassandra en sortit et disparut subitement dans l’obscurité sous le regard incrédule de Faith, spectatrice muette et impuissance de cette scène incompréhensible. Quelques minutes plus tard, la tchèque réapparut sur le perron, refermant avec calme la porte et pressant le pas jusqu’à sa voiture ; elle mit le contact et démarra aussitôt avec violence. Faith resta quelques minutes sur place. Une lueur éclaira brusquement l’une des pièces avant qu’une silhouette ne se dessine aux carreaux ; le visage d’un homme pâle et livide qui semblait visiblement préoccupé. Fébrile, il sortit aussitôt en hurlant au voleur alors qu’on ne voyait plus que deux taches rouges sur l’horizon ; Cassandra, une voleuse ? Le sentiment que ressentit Faith à cet instant fut bien terrible. Le cœur lui battit avec une rare violence. La téméraire glissa à son tour la clé dans le contact ; la voiture fut engloutie par les ténèbres avant de rejoindre les rues faiblement éclairées de Neptune. La brune était encore sonnée ; Cassandra une voleuse ? Cette question lui brûlait horriblement les lèvres. Elle frissonna alors que le vent se leva brusquement puis s’empressa d’entrer dans la cage d’escaliers de l’immeuble. Elle vivait au premier. Glissant les clés dans la serrure, Faith sentit un courant d’air ; quelqu’un était à l’intérieur et avait ouvert les fenêtres. Aussitôt, la chasseuse passa une main dans son dos et en tira son revolver ; à pas feutrés, elle s’engouffra dans son appartement et chercha du bout des doigts l’interrupteur. Ses doigts se heurtèrent à la porte du placard qui avait été laissée entrouverte ; jamais ce compartiment n’était sollicité. Attrapant la petite lampe torche qu’elle avait toujours sur elle, la brunette essaya de l’allumer mais hélas, à sa plus grande surprise ce fut justement à cet instant où la lumière fut avant même que sa lampe ne lui réponde. Sa stupeur fut terrible, grande, saisissante ; son cœur battit vivement en elle, allant jusqu’à reproduire ce son exigu dans sa tête. Les traits de son visage perdirent leurs jolis tracés ; les couleurs s’estompèrent. Son teint devint livide. Ses prunelles d’encre s’étaient arrêtées sur un petit paquet de velours. Cela lui rappela un souvenir ; elle l’avait déjà vu ce sac ! C’était celui de Cassandra. Elle avait même cru y voir des diamants la première fois qu’elle l’avait rencontrée en la prenant en autostop. Aussitôt, la chasseuse le saisit et l’ouvrit ; un cri surprise sortit de ses lèvres vermeilles. Des bijoux, des montres, et une liasse de billets. « Oh mon Dieu ! » Hurla-t-elle en lâchant le sac. Soudainement, la silhouette de Cassandra se dessina devant elle ; la tchèque lui adressa un sourire franc et mutin, ses yeux bleus pétillants de la même teinte et du même éclat que les perles composant l’un des colliers jonchant le sol. Une bière à la main, la blonde l’accosta sereinement. « Non à peine ! » Releva Faith avec ironie. Elle se ressaisit. Finalement, toutes les preuves étaient là ; elle tenait là un moyen de faire parler Cassandra au sujet de la fausse carte d’identité. « Laquelle de nous est en tord ? Tu rigoles j’espère ?! » La brune se pencha et ramassa les bijoux et les billets qu’elle replaça rageusement dans le sac en velours. Elle le tendit violemment à sa propriétaire. « Je t’en prie, ne te gêne pas surtout, tu n’es pas à ça de près, tu fourres tes camelotes chez moi, tu voles mon identité et tu bois ma bière ?! » Aussitôt, la chasseuse lui attrapa la bouteille et en but quelques gorgées. « Qu’est-ce que toute cette mascarade signifie ? Qui es-tu au juste ? Et pourquoi tu te trimbales ma carte sur toi ? Ce que j’ai vu ?! » Elle ricana en la dévisageant de haut en bas, avec assurance et nonchalance. « Peut importe ce que j’ai vu, ce que tu as fait est le plus important ! Mais si ça peut te rassurer, je ne dirais pas à Shane que tu passes tes nuits chez les petits vieux ! » Elle reprit son sérieux un bref instant : « Sérieusement, qui était ce pauvre type chez qui tu étais ?! Ne me réponds pas, un de mes amants, car franchement c’était ma blague et je sais que c’est faux…Un petit vieux qui criait au secours, au voleur ! A moins que tu lui ais accidentellement volé son cœur, je ne vois pas de quoi d’autre il pouvait parler ! » Un rire lui échappa. Cruel et assassin, tout comme son regard d’encre. « Plus sérieusement, dis moi tout, et maintenant Blackwood. C’est bien ton nom, ou plutôt devrais-je t’appeler Donovan, ou attends, j’ai trouvé mieux… » Faith fouilla de nouveau dans le sac en velours et tira un jeu de cartes d’identités plagiées. « Jennifer Scott, et on fait même dans l’originalité Anushka Vladislava Nikolaïev ! Amusant, mais mon préféré reste Faith Donovan ! Plus innovant que ça, tu meurs ! »Lança-t-elle avec ironie. Un sourire moqueur étirait ses lèvres brillantes ; elle était nerveuse, agitée. Terriblement déçue. Elle balança le nom de son frère à moment car le tout s’inscrivait dans une continuité ; malgré elle, Faith jalousait la complicité entre Cassandra et Shane. Elle les appréciait les deux, mais les voir ensemble la gênait terriblement. Pourquoi ? Elle ne savait pas comment le justifier. Mais les choses étaient ainsi. La brune but une nouvelle gorgée de bière en attendant impatiemment un éclairement de la part de Cassandra.