Il avait tout compris en voyant l’air grave de Jacob ; quelque chose de terrible se tramait, dans les tréfonds de cette nuit glacée. Alors qu’il était resté caché sous le portique, son regard errait sur les toits fumants des chaumières. Les lueurs accrochées aux fenêtres étaient aussi faibles que leur espoir, mais Seth Clearwater ne partait pas en perdant, au contraire. Les dires du Sage du village n’avaient que pour but de tous les mettre en garde, afin qu’ils se préparent au combat, qu’ils évitent la fatalité représentée dans les songes curieux dont leurs yeux pourtant ouverts, avaient été frappés. Oui, le jeune indien était convaincu que rien n’était joué d’avance. Alors qu’il s’étala de tout son lit sur son lit, son regard se perdit à l’instar de tous les autres, sur les étoiles. Chacune se mouvaient gracieusement, répandant des fils d’or et d’argent. Indiquant des sens contraires et les chemins que d’ici demain, ils devaient emprunter pour éviter le destin cruel. Sur ces pensées fumeuses, le nageur referma les paupières. Demain sera un autre jour, et pas des moindres. Jacob l’avait sommé de le retrouver à la lisère du bois pour qu’ensemble, ils puissent contrer l’attaque ennemie. Enfin, le soleil apparut dans le ciel, éclairant le visage du jeune homme et l’éveillant ainsi de son sommeil angoissé ; Seth s’étira. Il se redressa, avala rapidement un verre de jus afin d’avoir assez de tonus pour la suite tout en dévorant à pleines dents, une pomme encore verte et sucrée. Sa mère et son père l’attendaient sur le perron et vu l’air affolé sur leurs visages, ils savaient. Toute la réserve le savait. Ce jour était leur jour, celui où enfin, l’armée alliée les libérera de la noire pression des adversaires, de ce destin sordide auquel ils étaient réservés. Sa mère déposa une bise sur sa joue, lui communiquant ainsi un peu de sa force et de son espoir ; elle croyait tellement en son fils, en Jake, en la Meute. Son père quant à lui, le gratifia d’une poignée de main significative. Après leur avoir adressé un maigre sourire, le jeune homme disparut du village, direction la lisère du bois où déjà, tous les jeunes de la Meute étaient réunis. Seth les salua d’un sourire encourageant tout en les gratifiant d’une poignée de main, afin de leur prouver qu’ils étaient unis même dans la peur et l’appréhension. Ils étaient tous frères et sœurs. Une vraie famille qui n’allait aucunement fléchir devant les barbares du duo Lukenzo. Le nageur se positionna face à Jacob ; le leader Alpha s’empressa de convier ses amis, ses frères et sœurs d’arme à une minute de silence, solennelle, réflexive. Il ferma les paupières, calma sa respiration et son cœur effréné ; les mots ponctués sagement par le chef, étaient là pour éclairer leur voie. Seth ressentait à chaque vibration de cette voix forte, un élan différent, influer en lui plus de courage, d’assurance, de puissance. Il était convaincu par le discours de Jake. Rien d’autre ne lui paraissait plus indispensable que de protéger ses frères et ses sœurs, de protéger sa Push natale. La Justice saine et équitable devait triompher ; oui, Seth en était de plus en plus sûr, jamais la Meute ne deviendra une secte obscure, effrayante. Jamais ils ne deviendront ce pâle reflet vu dans les songes. Enfin, la bise se leva, dévalant les collines et les montagnes encore recouvertes d’un manteau de neige ; elle était rafraichissante, agréable. Le jeune indien réprima un frisson. Jake avait donné le feu vert. Il était tant de se lancer dans l’arène. Adressant un regard complice à tous les autres loups, l’indien se mit à courir vivement, laissant l’animal enraciné en lui, fleurir ; ses muscles devinrent plus vigoureux, ses veines saillantes, le sang brûlant et rouge comme de la lave. Ses yeux n’étaient plus tendres. Ils ne brillaient que d’un éclat ; celui de la revanche ! De la victoire !

Tous les loups s’éparpillèrent ; deux par deux, ils empruntèrent des sentiers de terre battue. L’animal au poil lustré se mit à courir au même rythme que son complice, son équipier, son frère, Jacob. Ce dernier lui donna l’ordre de circuler légèrement plus loin que lui, afin de s’assurer sans doute qu’ils n’étaient pas suivis, et là, surgissant de nulle part, deux bêtes féroces. Le duo Lukenzo. Le jeune loup accéléra la cadence ; ses mouvements étaient précis, agiles. Le soleil étincelait dans ses yeux, comme des flammes rouges et endiablées. Il dépassa le petit ruisseau en écoutant les sages conseils de son Alpha ; Jacob voulait que tous se regroupent au sein de la clairière. Là, l’endroit serait dégagé et les attaques seraient bien aisées à prévoir. Aussitôt, l’animal qui avait à sa trousse le traitre Luke, dévala la colline. L’ennemi lui emboitait le pas, il arriva presque à sa hauteur, mais c’était sans compter sur l’extrême agilité du sportif entrainé ; le loup bondit par-dessus un précipice avant d’atteindre l’autre côté de la rive. Whistler resta sur le côté. Il n’avait pas autant d’agilité et de puissance que son adversaire. Seth courut encore plus vite, dépassant les rangées d’arbres et de buissons touffus allant jusqu’à s’arracher quelques poils au contact des ronces. Aboyant de fierté, le loup rejoignit ses compères en pleine clairière ; tout était calme, trop sans doute. La Meute forma une ligne, aussi solide et infranchissable qu’une muraille. Le soleil faisait flamboyer leurs pelages ; ils hurlèrent tous en cœur. Ce long cri plaintif et rageur à la fois signifiait à leurs adversaires qu’ils étaient prêts à l’attaque. Whistler jaillit des bosquets, le pelage légèrement strié ; il avait certainement emprunté une fois où profileraient les épines. Seth eut un rire intérieur. Tous se mirent aux côtés de Jacob, protégeant également la louve enceinte ; October était juste derrière eux. Elle avait insisté pour faire partie du combat, et bien que tous avaient refusé, elle avait réussi à s’immiscer dans la bataille qu’elle devait également songer comme sienne. Tous les animaux se faisaient désormais face ; et là, ils se mirent à bondir les uns sur les autres, s’arrachant le pelage, se mordant les membres, se dévorant la chair. Seth sentit son flanc droit perforé. Il aboya de rage et de douleur. Julian vint à sa rescousse et dégagea Whistler ; le combat entre les deux amis d’hier allait être terrible ! Se redressant, le loup au pelage d’encre s’approcha d’un autre adversaire qu’il dégomma sans la moindre gêne, ne laissant de plus que quelques lambeaux de chair. La gueule en sang, l’indien ne demandait qu’à enchainer, qu’à tuer plus ; son instinct primitif était là, dans ses tripes, dans son cœur incendié par la fureur.

Le Temps semblait enfin venu pour eux ; leur civilisation était menacée par les ténèbres. La lune ronde, teintée d’argent irradiait le ciel ; ses rayons pâles effleurèrent le visage crispé de l’étudiant en SES ; penché par-dessus la fenêtre, il procédait à l’exercice silencieux de la pensée. Les étoiles défilaient une à une sous ses yeux ; les unes étincelantes comme une part d’espoir en lui, alors que les autres, dans leur ascension céleste perdaient leur éclat. Julian voulait croire en un avenir radieux pour la Meute ; loin de la barbarie et de la précarité que le songe lui avait désignées. Il avait le sentiment que demain sera un grand jour, le plus terrible et le plus sanglant de toute son histoire, de toute l’histoire de la Meute. Consultant d’un œil distrait son téléphone, il comprit au message de Jacob que le moment était venu. Il avait essayé d’appeler encore et encore October pour la convaincre que sa participation à cette bataille était inutile, trop risquée. Il en avait fait de même avec sa sœur Emma, mais en vain. Toutes les deux pensaient qu’il était maintenant obligatoire qu’elles soient présentes lors de cet affront, surtout October qui n’en démordait pas de sa rencontre brusque avec Whistler. L’étudiant en SES referma la fenêtre ; un courant d’air glacé s’engouffra dans la pièce trop chaude. Il frissonna puis s’étala dans son lit ; les paupières closes, le jeune homme réfléchissait tout de même. Il pensait à tout et à rien à la fois ; les chiffres de son dernier examen sur l’économie mondiale en crise se mêlaient aux calculs stratèges de la Meute. A la date prévue de sa visite de Wall Street, de son départ pour New York, de sa vie rêvée. Il songeait à tout cela avec un sourire en coin, sans vraiment s’attarder sur le mal, sur les ténèbres. La peur le rongeait, mais Julian était quelqu’un de courageux. Il avait appris cela aux côtés de ses frères de la Meute. Enfin, la fatigue ancrée de ces derniers jours, l’enveloppa de ses bras tendres. Et il sombra dans le sommeil…Jusqu’au lendemain ; le jour se levait sur Tree Hill. Le soleil s’engouffra rayon par rayon dans la chambre, la réchauffant, l’éclairant. L’aube était d’une beauté délectable ; toute minaudière, fardée de rose, d’orange. Blanche et frêle comme une femme. L’étudiant en SES se releva ; il alla jusqu’à la salle de bains, laissa l’eau chaude couler sur lui, tout en fermant les paupières. Il devait être bien réveillé et à bloc, à cent pour cent de lui-même. Une fois douché, il s’habilla rapidement, sans trop faire de chichi avec les belles chemises, les beaux hauts de costard…Il n’allait pas se pavaner à la Meute. En passant dans le salon, le jeune homme s’arrêta deux secondes et observa assez longuement une photographie avec sa famille ; son père, le Chef de la Police, haut gradé. C’était dans son bureau luxueux à Los Angeles. Il esquissa un sourire en voyant le visage amusé d’Emma et celui de sa mère. Ils étaient encore heureux à cette époque. Hélas, tous les bons moments ont une fin. Le fils Matthews s’encouragea de lui-même ; personne d’autre ne pouvait le féliciter pour le combat qu’il s’apprêtait à mener. Il inspira une bouffée d’air en sortant, confiant ses dernières pensées aux prières.

Arrivant à la Push quelques minutes après, Julian se retrouva avec les autres à la lisère du bois, comme Jake l’avait convenu. Tous discutaient et chuchotaient, agités, curieux, alors que certains comme lui préféraient rester concentrer sur leur objectif. L’étudiant en SES eut une vague lueur d’espoir en voyant qu’October n’était pas encore parmi eux ; enfin, elle avait sagement réfléchi ! Elle n’allait pas venir et risquer sa vie. Soudain, Jake et Seth apparurent, marchant d’un même pas, tous les deux secrets et interdits. Tous écoutèrent attentivement le discours du leader ; sa forte voix était communicative. Son air sûr et vaillant, leur procurait à tous une force, une puissance. Julian l’écoutait, absolument convaincu par ses paroles qu’il jugeait sensées. Oui, lui aussi était de cet avis. La Meute ne devait en rien ressembler à un champ en ruines. Tous voulaient bâtir un avenir serein pour les générations futures, Julian plus que quiconque vu qu’October avait finalement réussi à le convaincre pour qu’ils gardent l’enfant. Ce combat allait être difficile, le leader le reconnut, cependant, ensemble, ils étaient capables de faire de grandes choses. Enfin, ses derniers mots s’envolèrent en éclat lorsque le vent se leva ; l’étudiant en SES plissa les yeux, liant ses deux mains ensemble, accordant au silence, une dernière prière. Il avait péché, certes, mais son âme était pieuse et il méritait que les portes du Paradis ne lui soient ouvertes. Il acheva sa prière en se signait alors que les autres murmuraient leurs espoirs et leurs peurs, aux esprits et aux vents. D’un bond, l’étudiant en SES se transforma en un loup robuste et agile, au pelage brun. L’animal bondit de buissons en buissons ; Jake leur ordonna de se diviser, deux par deux. Julian s’attribua une paire avec sa sœur Emma, vu qu’October n’était pas encore présente. Les deux Matthews, transformés et plus soudés que jamais n’étaient pas prêts à fléchir. La bête atteignit furtivement un recoin éloigné de la forêt, se rappelant des indications de Jacob ; rendez-vous en pleine clairière, pour prendre l’ennemi à revers. Le soleil irradiait intensément dans le ciel, leur communiquant une force délectable. Sautant et courant à vive allure, l’animal sentit qu’on le guettait. Il adressa un regard à Emma avant que les deux frères ne se séparent pour se retrouver quelques mètre plus loin, avec collés aux basques, deux animaux agiles et vigoureux. Ce n’était pas Luke, hélas ! Julian voulait se retrouver en face à face avec lui, lui et lui, seul pour lui faire payer ce qu’il avait fait à Jayson, et ce qu’il lui avait fait. Ce qu’il avait également fait à Caroline en suscitant en elle autant de frayeur. Le loup se retrouva en rien de temps en pleine clairière, après avoir dépassé promptement le bosquet obscur. La lumière envahissait pleinement l’air poussiéreux ; quelques éclats dorés et argentés venaient à se refléter sur les robes des animaux. Tous montraient les crocs et grognaient en cœur comme pour dissuader les adversaires. La Meute était soudée et formait une ligne de front infranchissable. Julian fut retint une seconde en sentant le parfum subtile d’October ; elle était là. Pourquoi ? Il aboya en sa direction comme pour lui dire de fuir, mais la canadienne voulait participer à la bataille. Qu’à cela ne tienne ! Il la protégera cependant. Les ennemis affluèrent de toute part ; le combat s’annonçait ensanglanté. Tous aboyèrent et se bondirent dessus, arrachant des membres, mordant à la gorge, au flanc, aux pattes. Julian sauta sur Luke ; enfin, le moment de batailler contre son ancien confident était venu. Les deux animaux courèrent et sautèrent dans tous les sens ; de la poussière rendait vague l’issue. Julian mordit au flanc l’animal alors que ce dernier tentait de lui dévorer la gorge. Les deux hommes enchainèrent la bataille ; l’étudiant en SES fut en mauvaise posture durant quelques secondes, secondes fatales et décisives. Quelqu’un vint à sa rescousse ; October, doublée d’Emma. Les deux louves mordirent l’animal Whistler. Julian se releva, du sang coulant le long de son pelage, mais il n’en démordait pas ; la vengeance brûlait au fond de lui. Il remercia les filles d’un aboiement en leur demandant également de le laisser seul à seul avec le sauvage. Les deux animaux s’observaient en chien de faïence ; économisant leurs énergies avant l’assaut final. Le plus violent. A quelques mètres deux, les carcasses fumaient, le sang coulait…La mort se répandait horriblement.

L’heure était venue pour la meute d’affronter l’effroyable duo menaçant, faisant de l’ombre à notre groupe si loyal et s’évertuant à sauver son honneur, ses coutumes dans le respect le plus total qui soit. Rien ne semblait plus m’effrayer que cet aspect de la situation. Notamment depuis que j’avais eu l’occasion de voir ces horreurs qui nous faisaient office de futur. D’un autre côté, cela m’octroyait une rage de vaincre et une envie insoutenable de défendre mes amis, ceux de la meute, jusqu’à mon dernier souffle s’il le fallait. A ce jour, rien ne me semblait aussi important. La Meute était devenue ma seconde famille dès l’instant même où Jake nous y avait accueillis au moment le plus délicat de notre vie ; peu après notre transformation non désirée. Son geste avait signifié beaucoup pour moi. Pour mon aîné certainement aussi. Nous lui en étions reconnaissants. C’était en grande partie pour cette raison que j’avais catégoriquement refusé la requête de Julian, celle de fuir en compagnie d’October. Le jour où j’avais fait mon entrée dans la Meute, ce n’était pas simplement pour laisser des jours heureux s’écouler, non. Je me devais de répondre présente à tous moments, face à toutes situations. Même les plus terrifiantes et angoissantes. Tel fut le cas lorsque je su par Jacob que le lendemain aurait autant d’ampleur dans nos vies respectives. Pour la meute également. En moi, je sentais l’appréhension naître lorsque je songeais que le moment était venu pour les Deux Grands de s’affronter. Nous n’avions pas le droit de faillir à notre ‘mission’. De décevoir tous ceux qui fondaient leurs espoirs en nous, ceux de voir une Meute rayonnante . Assise sur le rebord de la fenêtre de mon appartement sur Neptune, une main posée sur mot front, je songeais au scénario du lendemain, façonné à ma manière. L’effroi me guettait tant l’événement était redouté, par chacun d’entre nous. Vaillamment, je rangeais mes notes, bien trop distraite pour écrire quoi que ce soit de rentable ; en cette soirée dont les minutes me paraissaient être des heures, j’étais incapable de produire un article, ne serait-ce même qu’une seule phrase convenable. Et pourtant, il me fallait réellement une raison considérable pour perdre ce goût, ce talent que j’avais pour l’écriture.

Lorsque l’heure arriva enfin, je ne pensais à rien d’autre qu’au moment ultime. Mon cœur se serrait un peu plus à mesure que d’un pas accéléré, je me rapprochais des lieux. Tous étaient présents. Un regard adressé à chacun suffisait à exprimer le fond de sa pensée. A la suite du reste de la Meute, je me transformais en louve, suivant minutieusement les instructions du Chef. Mon regard croisa une dernière fois celui de mon aîné avant que le combat ne commence ; je savais à quel point il avait peu désiré notre présence ici. J’assurais les arrières de ma meilleure amie et veillais au grain. Que quiconque osera toucher un cheveux d’October aura à faire à moi. Je me sentais submergée par une volonté de fer, sans limites presque. La question était ; serait-ce suffisant ? A mesure que le combat semblait amorcé, j’en doutais fortement. Tel un animal vif et vigoureux, je m’élançais à travers les bois tandis qu’au même instant, Lorenzo, Luke et toute leur clic débarquèrent. L’affrontement débuta. Je sentais le vent comme s’il m’appelait à défendre coûte que coûte la Meute contre ceux qui nous avait trahis, ou plutôt, celui. Sous mes yeux luisants, j’observai l’étendu des dégâts ; tant de personnes nécessitaient d’être secourues que je ne savais où donner de la tête. October et moi même vinrent en aide à Julian qui combattait rageusement Luke, et dont l’instinct semblait résigné à ne pas fléchir. M’écartant ensuite un peu plus loin, je fus prise par surprise par un autre loup qui, sauvagement –et malgré le fait qu’il avait l’air déjà bien blessé- s’était rué sur moi, m’entraînant dans un petit ravin menant au pied du cours d’eau. Me redressant sur mes quatre pattes, je grognais à l’encontre de l’animal qui me dévisageait et qui n’attendait qu’une seule chose ; ma riposte. Légèrement amochée, je sentais la rage en moi comme étant ma dernière force. Je bondissais sur l’ennemi, l’attrapant à la gorge, ce-dernier se débattait à coups de pattes puis de crocs. Vaguement sonnée, je parvenais tout de même à m’en débarrasser en l’envoyant contre l’arbre derrière lui ; il succomba à ses dernières blessures. Je me dépêchais ensuite de rejoindre les autres, comme prévu. Je remontais la butte, sentant mon cœur battre comme jamais encore. Les environs ne ressemblaient plus qu’à un malheureux champs de bataille. Mais rien n’était encore terminé.

C’était le grand soir. Lorenzo avait regroupé toute la Meute afin de préparer cet assaut explosif contre la Meute de Jacob Black ; tous les loups formaient un cercle parfait autour de leur leader qui d’une voix forte leur exprima son point de vue sur la première offensive. La lune pleine et rouge brillait dans les cieux d’encre. Il flottait dans les airs ce parfum fort, transcendant et revanchard. Oui, il était temps pour nous de nous manifester enfin ; de renaître des ténèbres, de briller sous les éclats dorés de la haute lune, sous ses yeux scintillants d’émotions, sous son regard de mère nourricière. La Meute de Black allait succomber à nos morsures empoissonnées. Ils allaient rendre l’âme et nous céder enfin cette terre promise qu’était la Push. Tous les loups en avaient les yeux étincelants ; ils étaient pressés, endiablés. Déchainés. Un filet de bave ruisselait le long de leurs gueules béantes. Leurs cœurs brûlants battaient à l’unisson. Ce moment d’ivresse se prolongea alors que nous faisions nos premiers pas furtifs hors de notre repère ; la lune était là, tel un guide au flambeau d’argent. Elle éclairait notre route. Le vent nous soufflait aux oreilles des promesses d’un avenir que nous espérions tous à la hauteur de nos rêves. Il était temps de ne plus penser. De laisser complètement l’animal en moi immerger. Sa puissance et sa barbarie devaient renaître plus fortes que jamais, car c’était ce soir…Ce soir ou jamais. Le poil lustré et frémissant, je courrai précipitamment, bondissant agilement et avec fougue de buissons en buissons ; la rivière brillait. Les étoiles rouges comme le ciel déchiraient les venines noires des cieux palpitants. Lorenzo proposa un dernier plan d’attaque car il eut une brillante idée ; il savait que l’équipe de Black allait nous attendre au tournant. Il était donc question d’être plus rusés qu’eux, de les surprendre en les attaquant de face. Tous les loups de l’armée noire fourmillaient dans la pénombre. On entendait simplement les frémissements des hautes herbes et des bruyères que la rosée recouvrait entièrement de ses larmes. Nous arrivâmes à deux kilomètres de la Push, sur la colline qui donnait une vie panoramique de toute la vallée indienne ; les loups se mirent à détailler l’horizon d’encre. Ils cherchaient une trace de nos adversaires. J’en fis de même. Rien. Bizarre. Où étaient Black et ses hommes ? Sans plus attendre, Lorenzo ordonna aux loups de se diviser ; deux groupes et un autre groupe tout à l’arrière qui pourra se présenter à nos côtés si nous échouions. Bondissant ensemble par-dessus un des serpentements de la rivière d’argent, nous atteignîmes enfin le plein cœur du village indien ; pas un souffle. Pas âme qui vive. Les lueurs des bougies apparaissaient derrière les jalousies closes. Tous les indiens avaient peur. Le jour sacrant notre victoire était là. C’était maintenant que tout se jouait. On entendait quelques pleurs et quelques souffles derrière les fenêtres. Quelques peaux frémissantes et chaudes, comme leurs cœurs nous renvoyaient l’odeur âpre de leur sang d’impies. Ces indiens mourront tôt ou tard. Lorenzo et moi enchaînâmes nos pas à travers le village fantômes ; nos pelages brillaient sous les éclats de l’astre merveilleux. Je sentis le parfum des loups de la Meute. Je les connaissais encore trop bien. Surtout October. Elle était là. Je me figeai aussitôt. Il y avait ce Luke humain en moi, cet insolant et tendre personnage qui ne voulait rien lui faire. Et puis, il y avait moi, ce loup puissant et fourbe, sans cœur. Aussitôt, il parla à ma place, indiquant d’un signe de tête la bonne direction à prendre ; nos sous-fifres nous suivirent. Nous dépassâmes le premier chemin de terre si rapidement que nous arrivâmes bien vite au cœur de la clairière. La lune brillait si fort que les loups se sentirent regagnés d’une force suprême. Nous sentions la pierre de lune. Sa présence, son énergie. La pierre opaline était là, cachée quelque part. Pas loin de nous. Je frémis. Aussitôt, Salvatore donna l’assaut, tout comme Black ; les deux Meutes se rejoignirent en un point infime sur l’horizon d’encre.

Lorenzo m’indiqua la marche à suivre et aussitôt, je m’empressai d’aider le loup au pelage doré. Les animaux de la Meute d’en face nous sortirent à la gorge, faisant pression de leurs crocs d’argent dans nos chairs. Un d’entre eux me prit à part. Ses yeux brillaient. Il me défiait du regard ce vilain. Je bondis sur lui, arrachant aussitôt un grand lambeau de chair. Son sang me brûlait les lèvres. D’un geste lourd et vif de la patte, je lui arrachai une oreille. L’animal saigna en aboyant de douleur. Le sang impur se répandit vite dans l’herbe fraiche. Les loups de notre armée perdaient la vie…Ceux de Black étaient résistants. Sans doute leurs conneries d’esprits étaient avec eux et guidaient leur route. Tout à coup, je me retrouvai face à Julian. Matthews et moi avions des comptes à régler. L’animal au poil chocolaté me sauta dessus. J’aboyai. Il m’arracha un morceau de chair, puis me mordis au flanc gauche. Roulant en boule, j’heurtai de plein fouet un rocher. La douleur était horrible. Ensuite, deux autres loups vinrent. Trois contre un. Ce n’était pas fairplay. Je me redressai, titubant un peu, avant de repenser à l’énergie de la pierre, à oublier qu’à une époque nous avions été amis, proches, complices ; désormais ils ne représentaient à mes yeux plus que des cibles à descendre. Les crocs luisant et la bave rampant sur ma gueule, je sautai sur l’un des animaux qui se mit à aboyer de douleur. Je lui arrachai de la chair, et la partie d’un membre. Julian, October et Emma intervinrent alors. Nous nous livrâmes un combat sanglant, inédit. Leurs yeux étaient illuminés par les enfers. Je sautai sur Jules, le mordais à la patte. October et Emma se ruèrent alors sur moi pour protéger leur lycanthrope préféré ; leurs griffes pénétrèrent dans ma chair, allant jusqu’à sauvagement écorcher mon dos. J’aboyai de douleur. Je devais me ressaisir. Dégageant d’un coup de patte les deux louves, je bondis sur l’une d’elle et la ruai de coups de griffes. L’animal faible se mit à saigner abondamment, avant de retrouver sa forme humaine ; la violence de mes coups l’avait marquée sur toute la peau. Je ne vis pas de qui il s’agissait. Je décidai de m’occuper de Jules et de l’autre louve. Les deux animaux me tournaient le dos, trop occupés à s’occuper de leur blessée. Je mordis la queue de la louve et la tirai vers moi avant de violemment la balancer contre un rocher ; il y eut un bruit assourdissant d’éclatement. Ses os s’étaient brisés. Je jubilai, la gueule baveuse, en feu. Soudain Jules me tomba dessus. Nous nous mordîmes jusqu’aux os. Je le griffai, il m’arracha la peau. Nous aboyons de rage. Le sang coulait abondamment. Nous roulâmes en boule jusqu’à nous retrouver prisonniers de la rivière ; l’eau glacée calma nos ardeurs. Nous reprîmes notre apparence humaine. J’attrapai Julian par la gorge et fourrai sa tête sous l’eau. « Crève sale clebs ! » Criai-je en enfonçant sa tête plus profondément dans les eaux glacées. Mais l’étudiant en SES n’avait pas dit son dernier mot, il me fit plonger à mon tour. L’eau s’engouffrait dans mes poumons. Je devais faire vite appel au loup en moi. Mes blessures me lourdaient. Aussitôt, de mes lambeaux de chair, naquit la bête féroce. Il attrapa l’humain par la jambe et le tira dans les profondeurs abyssales de la rivière..