Il faisait une chaleur à ne plus tenir debout et, à plusieurs reprises, Jessica manqua de rater la marche d'un trottoir. Elle vaquait entre les passants, ignorant les regards posés sur sa fine silhouette, marchant d'un pas lent bien qu'un arrière goût se pressé de faisait sentir. Et elle l'était. Depuis ce jour où elle avait croisée Raphaël dans la cour de l'université, elle s'était d'autant plus rapprochée spirituellement de sa sœur : elle n'arrivait plus à discerner le vrai du faux, elle était plongée dans une torpeur étonnante. Et pourtant, elle répondait toujours de ce même sourire éclatant qui laissait apercevoir ses dents alignées. Car si elle le connaissait à présent, jamais l'idée de se renfermer sur elle-même ne lui traversa l'esprit. Elle n'en avait guère envie, ce n'était pas elle. Pourtant, ce fut bien cette jeune femme qui poussa la porte de la bibliothèque, se dirigea non sans mal et, après avoir donné sa carte, ressorti aussitôt. Elle ne croisa personne et personne ne la croisa. Alors que le début de son année s'était montrée très riche en ce qui concernait les relations amicales, à cette période de l'année sa vie ne connaissait aucun pique de réjouissance Les SMS s'accumulaient tout autant que les messages vocaux sur sa ligne téléphonique et la touche rouge de son téléphone restait appuyée en permanence. Elle ne répondait plus quand on l'appelait, car elle ne savait que répondre. Peut-être était-ce une simple question de manque de confiance ? Finalement, elle ne les connaissait que depuis peu et cela pouvait expliquer la raison de son silence au sujet de sa sœur, Aria. L'aînée des Zhang se portait du mieux qu'elle pouvait, du mieux que l'on lui permettait. Une fois que le livre en question à la main, elle changea de direction et pris celle du centre-ville. Un violent besoin de s'écarter de ce brouhaha d'université l'emmena à échanger contre celui du centre-ville. Si, en se levant ce matin elle avait pensé passer la journée dans le coin d'un parc, ou encore dans les bois ou qu'importe mais un coin tranquille où elle pourrait être seule, elle allait tête baissée à l'opposé. Elle se rendait dans le lieu où les passants risquaient de la voir pleurer derrière son bouquin, mais d'un autre côté on aurait bien plus de mal à la détecter parmi tout ce monde. Du moins, c'est ce qu'elle se forçait à croire...
Assise sur une chaise tressée, Jessica lisait paisiblement un livre quelconque. Elle s'était réfugiée dans un coin plutôt reculé, au fond derrière une dizaine d'autres tables remplies. De temps à autres, elle jeta des regards furtifs sur ce qui l'entourait. Deux personnes, l'homme lui prend la main, la femme l'embrasse. Un couple ? Elle passa ensuite à une deuxième table. Trois enfants, le père louche sur le fessier de la serveuse, la femme ne le remarque même pas, ou peut-être feint-elle de ne pas le remarquer ? Enfin, un couple de trentenaire pouponne une petite chinoise. Mei posa ,le temps de quelques minutes, son livre sur la table, près de son verre de thé glacé pour plonger ses yeux dans ceux de la petite. Elle se pencha légèrement malgré l'écho de la voix de sa mère lui rappelant que la curiosité est une qualité, mais dans certaines situations il est préférable d'ignorer. Il aurait été préférable qu'elle ignore. Parce que ce qu'elle découvrit la laissa perplexe. Quand elle se redressa, son regard ne pu se détacher de la petite fille qui jouait avec sa paille. Elle avait mal, car non seulement elle voyait en cette petite tout ce qu'elle n'avait pas eu mais bien plus intensément tout ce qu'elle avait perdu. Et là, elle aurait échangé la douleur psychologique pour la douleur physique, elle n'aurait pas eu un instant de doute si elle en avait eu la proposition. Des milliers de souvenirs lui revinrent en mémoire. Ceux qu'ils lui firent sourire et les autres.
Jessica avait repris sa lecture. Elle tournait les pages lourdes, pesantes comme s'il s'agissait de chapitres de sa vie. Elle sirotait son sirop, quand sa gorge devenait trop sèche dû à l'émotion. Sinon, rien ne la fit bouger. Les deux hommes à moitié ivres à côté d'elle ne lui firent pas lever les yeux, les deux jeunes qui vinrent la « draguer » n'eurent aucune autre réponse que des yeux collés sur les lignes de son livre. Mais, un rire attira son attention, celui de la petite chinoise. Elle laissa tomber son livre sur le sol, se leva quand la petite lui tourna le dos. Immobile et debout, aucun son de parvenait à sortir. Puis, les larmes aux yeux, elle sursauta quand une main froide lui pris le bras. Elle fit volte face, espérant que ce serait une personne qu'elle aurait envie de voir. Mais quand elle l'aperçut, elle se retrouva prise au piège et elle eu les larmes aux yeux encore un peu plus, car elle se souvint qu'elle n'avait envie de voir personne. Personne sauf Aria. « Julian ? Qu-qu'est-ce que tu fais là ? » Ce n'était pas très accueillant ni même chaleureux pour celui qu'elle considérait pourtant comme étant son ami.