Heléna poussa la porte d’un geste brusque et naturel. La pièce était bondée de compagnons. Certains discutaient dans les coins les moins illuminés par les quelques lampadaires disposées dans cette vaste pièce, mêlant leur halène moisies avec l’épaisse fumée de leur cigares. D’autres, de pauvres âmes perdues, se donnaient du rêve en s’imaginant découvrir le secret qui hantait ces lieux depuis des dizaines d’années, selon eux, alors que le mal y régnait en permanence depuis plus de deux siècles. Les murs se faisaient vieux. On devinait une mauvaise stabilité dû au temps qui était passé bien trop vite, selon le vieux père assis derrière le bureau, au fond, et dont les rides et les joues creusées se faisaient souvenirs du temps qui s’est enfuit. Heléna déposa son manteau dans un coin, elle le retrouverait ou pas, étrangement ça ne la dérangeait pas plus que ça aurait dû. Elle commanda d’un signe de la main la spécialité du coin. Peu lui importait, elle avait besoin d’un remontant qui la rafraîchirait. Sa commande arriva et à peine fut-elle entre ses mains que l’étudiante vida son verre férocement. D’ailleurs, diverses têtes se tournèrent vers elle, ce qui la fit sourire. Quelle infamie ! pensaient-ils, Cette enfant est si jeune, sa peau semble encore si neuve. Heléna leur lança un regard malsain et quitta la pièce par le petit escalier de droite.
Le bois craquait sous le poids de son âme. Dévisageant chaque regard qui se posait sur elle, Heléna se sentait perdre le contrôle à chaque moment de son avancée. Que faisait-elle ici ? Comment était-elle arrivée ici ? Prenant le chemin inverse, elle posa sa délicate main sur l’escalier qui, l’espérait-elle, mènerait à autre part qu’à sa perte. Heléna monta trois marches, les unes après les autres, avec la même lourdeur qu’auparavant, les épaules penchant en avant, de plus en plus. Finalement, celles-ci finirent par la faire tomber au sol. La tête contre la dureté du bois, elle tentait de se débattre, d’ôter cette douleur immense qui prenait en elle, mais elle finit par laisser tomber. Il était trop fort, ils étaient tous plus fort qu’elle. Durant un instant, tous ceux qui s’étaient retournés vers elle crurent voir le diable en cette délicieuse silhouette. C’était approximativement la même chose, Heléna n’était plus elle-même. Elle releva la tête, tapa sur le tissus qui recouvrait ce corps et se dirigea vers le fond de la salle, dévisageant tour à tour toute personne qui osait la regarder.
Une fois sa cible trouvée, elle prit place dans un fauteuil et ne dit rien. Alternant du regard l’homme en costume et son ami, moins bien vêtu mais bien plus intéressant, elle attendait. Elle attendait quelque chose, c’était une évidence, mais que cherchait-elle ? Pourquoi regardait-elle l’homme tout en se léchant les babines ? Qui était donc cette charmante jeune femme, aux douces bouclettes d’argent ? Son cœur ne le révélait pas. « (…) C’est une sorcière, je l’ai vu de mes propres yeux. » « Toi ? Poivrot comme tu es ? Il faudrait que je te crois en plus de tout cela ? » Cognant son cognac sur la table, l’homme en costume posa son poing sur l’épaule de son camarade, qui ne semblait pas prendre cette accolade au même degré de plaisanterie que lui. Il se moquait éperdument de lui. Vexé, il se leva sèchement. Heléna en fit de même. Elle le suivit, l’attendit à la porte des toilettes des hommes et finit par l’attendre dehors. Les minutes passèrent lourdement, elle tapotait son pied contre les briques du mur, se léchant la lèvre inférieure en vue de sa soirée. Finalement, l’homme arriva près d’elle et, après l’avoir sauvagement attrapé par la nuque, Heléna le colla contre le mur. « Tu te souviens de moi ? » Pour sûr, il se souvenait d’elle. C’était bien elle qui avait sauvagement assassiné son cousin, l’autre soir. Il l’avait vu et, pour cela, il allait être sa prochaine victime. Alors, elle sortit un couteau, l’enfonça fragilement dans son épaule, remontant petit à petit vers son cou. La nuit serait longue, le réveil bien moins pour l’homme, qui serait alors plongé dans un sommeil des plus profond. Dors bien, petit oiseau.