Le soleil nacré dodelinait comme une perle en plein ciel ; ses fils d’or se retombèrent un à un sur la terre des hommes, allant jusqu’à les éveiller de leurs soyeuses caresses en effleurant leurs visages endormis. Elle en fut chatouillée et s’éveilla doucettement ; ses yeux se rouvrirent sur le monde qu’elle avait quitté la vieille, aspirée par le gouffre sans fin du sommeil. Tout en baillant, la jeune femme descendit de son lit et ouvrit grand les fenêtres ; l’air tiédi du matin s’y engouffra, apportant dans son envolée zélée, quelques douceurs estivales. Les fleurs brillaient sur la pelouse gorgée de gouttelettes scintillantes. La journée s’avérait belle et propice à une promenade en ville, néanmoins, les projets de Faith étaient bel et bien différents ; depuis l’affaire de la Gorge du Diable, les chasseurs avaient décidé d’être un maximum sur le terrain pour contrer au plus vite la menace. Peu importe son envergure, ils devaient trouver une solution pour s’en défaire, tout en assurant la sécurité des citoyens. Car tel était leur engagement, tel était le vœu qui liaient si étroitement leurs destinées manifestes. La jeune femme prit légèrement appui sur le rebord de la fenêtre ; les cheveux dansant dans le vent, le regard brillant comme l’astre trônant dans les cieux éternels, elle songeait en regardant aller et venir les habitants que jamais, ô grand jamais elle ne pourrait aspirer à une telle existence. Faith avait toujours voulu une belle vie, et comme toutes les jeunes filles en fleur, elle avait songé au Prince Charmant, à la vie parfaite et heureuse ; hélas, les choses s’étaient déroulées autrement, et désormais adopter un tel mode de pensée pouvait s’avérer utopique, ridicule. La désillusion avait été grande lorsqu’elle avait appris pour l’existence d’un monde obscur peuplé de créatures mythiques narrées horriblement par des écritures archaïques ; au départ, elle n’y avait pas cru. Elle avait même ri, en haussant les épaules. Mais la vérité lui était fatalement retombée dessus, et l’avait foudroyée comme une épée en plein cœur ; elle avait vu des choses, entendu des choses, senti des choses qui défiaient toutes les croyances. Désormais, la chasseuse savait qui étaient les réels ennemis des Hommes ; les malfrats et autres voyous n’étaient rien comparé à ce qui les attendaient. L’Apocalypse, l’enfer cuisant, embrassé, destructeur. Faith vit ses voisins si insouciants, riant et embrassant tendrement les joues rougies de leurs enfants ; un sourire lui passa rapidement sur les lèvres. Non, jamais elle ne goûtera à ce bonheur, à celui d’être mère. Ses doigts caressèrent instinctivement ce ventre infertile, duquel aucune fleur n’éclora. Une moue lui froissa les traits. Elle baissa les yeux légèrement vitreux et referma brusquement la fenêtre, comme pour se couper une bonne fois pour toutes, de ces visions sans avenir. Elle ne devait plus y songer. Cet avenir n’était pas le sien. Il ne le sera jamais. A pas chancelants, la brune parcourut son appartement, y errant comme une âme en peine; elle rangea soigneusement la cuisine, plia le linge, réajusta les parures des canapés, et s’attela à quelques tâches quotidiennes en écoutant d’une oreille distraite la radio. Les actualités présageaient bien des horreurs ; certainement certaines d’elles étaient les œuvres incomplètes de démons cruels et avides. Faith soupira. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas passé une matinée si posée. Rangeant la vaisselle dans les placards, la jeune femme s’empressa de mettre le linge à sécher sur la corde raide installée sur la terrasse baignée de soleil ; elle s’étira un long moment en observant vaguement l’horizon clair, bleu, limpide. Des voitures dépassaient furtivement les maigres ruelles du quartier agité de Neptune ; on entendait au loin le cri des sirènes et les cliquetis mécaniques des machines dressant de nouveaux immeubles, les entassant les uns aux autres en les remodelant sur une terre de misère. Soudain, la téméraire entendit le vrombissement d’une moto ; ce bruit lui était si familier. Elle se pencha légèrement par-dessus la rambarde en fer et observa le motard qui descendait avec assurance de sa Harley Davidson. C’était Shane. Un soupir fit frémir le bout rosé de ses lèvres. La brune savait pertinemment quel était le motif de sa venue ; il allait encore la sermonner, lui hurler dessus jusqu’à en avoir le souffle coupé. Il allait la traiter de tous les noms et lui interdire de reprendre la chasse aux côtés des autres membres du RoadHouse. La sonnerie retentit à maintes reprises, faisant décrocher à chaque sifflement, le soupir de la jeune femme ; à pas lents, elle fit presque exprès de le laisser patienter davantage devant la porte de l’appartement. Il toqua nerveusement, puis, enfin, ses doigts encerclèrent la poignée qu’elle tourna légèrement ; brusquement, son aîné pénétra. Refermant doucement la porte, Faith se mit dos à celle-ci en observant d’un œil moqueur son frère ; le jeune homme en avait le visage empourpré, plein de colère, l’air aigre et rageur. Il ôta son blouson de cuir et le posa soigneusement le dossier d’une chaise qu’il tira pour prendre appui dessus. Quelques paroles accompagnèrent son geste frénétique ; un sermon, encore une fois, comme si celui de l’autre soir ne lui avait pas suffit ! Ce qu’il adorait lui hurler dessus ces derniers temps. La brune le dévisagea sournoisement tout en croisant les bras contre sa poitrine ; ses yeux brillaient de colère, à l’instar de ceux de son aîné. Légèrement plus clairs et plus enflammés que les siens. « Quel plaisir! Je t’en prie Shane, prends place ! Tu es le bienvenu. Tu veux un café ? Un petit gâteau aussi ? » En s’accoudant sur la table, son aîné grogna, agacé par sa remarque qu’il jugeait probablement de mauvais goût et totalement enfantine ; il posa ses lunettes de soleil sur la table et tapota nerveusement sur le rebord boisé de celle-ci. « C’est bon, relax Shane ! Tout va très bien dans le meilleur des mondes ! » Nonchalante et provocatrice, la jeune femme avança d’un pas en sa direction et tira à son tour un siège ; elle lui sourit, moqueuse, taquine et fière. « Blabla, toujours le même discours ! Arrête deux secondes. Je n’ai plus dix ans. C’est fini Shane. Tu n’as plus d’ordres à me donner. » Instantanément, le cœur lui battit violemment et ses doigts se resserrèrent nerveusement au rebord de la chaise qu’elle tenait avec fermeté. « Ca aurait pu, mais ça n’a pas mal tourné ! Nous nous sommes tous très bien battus, et nous en sommes sortis presque tous indemnes. Nous devions nous y rendre ! Certes, Raphael nous a sauvé et sans lui nous serions probablement tous morts…Certes, c’était dangereux…Certes certains d’entre nous sont morts, ou blessés, voire même disparus, mais que voulais-tu que l’on fasse ? Qu’on reste les bras croisés à regarder les démons brûler le monde ? Notre monde ? La terre de milliers d’innocents ?! » Ses yeux croisèrent les iris ardents de son frère ; il en avait le visage rougi de colère. Ses traits se tirèrent lorsqu’elle enchaina, la voix éraillée, moqueuse. « En Chinois peut-être, et encore ! J’ai pris des engagements auprès d’eux, comme Papa l’a fait avant nous. Nous sommes obligés de continuer ainsi. Tu crois vraiment qu’une petite ville tranquille comme Monsieur ou Madame tout le monde est faite pour nous ? Après tout ce qu’on a vu, tout ce qu’on entendu et tout ce qu’on affronté et subi ? Arrête ton char Shane ! » Néanmoins, Faith avait été franche sur toute la ligne ; reprendre une vie ‘normale’ après tout ce qu’ils avaient vu lui semblait improbable. Cependant cette pensée lui avait traversé à maintes reprises l’esprit, mais tan elle était vaporeuse, le vent glacé l’avait balayée d’une traite. Agilement, la demoiselle contourna la chaise et alla dans la cuisine. « Ton café, c’est toujours sans sucre ? » Un sourire colora ses lèvres roses alors qu’il mit en marche la cafetière.